Au fil des jours

Les murs du domaine en sont témoin, Fargor est un lève-tôt. Après un petit déjeuner copieux, le plus souvent préparé par Léonie la veille, le nain disparaît durant toute la matinée avant de revenir pour le repas du midi, hors de question pour lui de sauter un repas !
Cependant pas de promenade pour le Sombrefer aujourd'hui, en effet aujourd'hui est le jour de l'entretien. Les habitants du domaine ont donc eu l'occasion de voir le garde du corps en civil pendant qu'il s'occupe de polir arme et armure avec soin, poussant même parfois la chansonnette dans sa langue natale. Reste à savoir si ce dernier point est une chance ou une malédiction...

Un peu plus tôt dans la journée, aux environs de neuf heures et demie

Bien sûr, avec sa tenue stricte et son panier de fruits, elle ne passe pas inaperçue, malgré l'heure encore matinale pour ce quartier de la capitale. Et elle ne compte plus les regards surpris, amusés voire interloqués qu'elle s'est attirée ainsi équipée, mais s'il y a bien une chose qu'elle a acquis au cours des années, c'est de ne tenir compte que de l'essentiel. Aussi marche-t-elle d'un pas leste dans les rues de ce quartier qu'elle ne connait pas encore, laissant son regard se poser sur les façades toutes plus rutilantes les unes que les autres des hôtels particuliers et des manoirs, pendant que ses autres sens s'imprègnent des petites choses qui l'entourent : le léger vent qui fait bruisser les branches des arbres, le pépiement des oiseaux, les notes florales qui flottent dans l'air encore chargé de l'humidité de la rosée, le crissement des graviers sous ses bottes... Tout ce qui fait l'identité du quartier, et qu'en bonne fille de l'armée, elle note instinctivement.

Un dernier virage, un regard en direction des plaques de porcelaine qui portent le nom des rues, un raffinement supplémentaire qui la fait sourire, intérieurement, quelques pas de plus et la voilà arrivée à destination.

Située en retrait de la voie principale, en partie masquée, en cette fin d'été, par une grande haie d'arbres et d'arbustes, une vaste bâtisse émerge du couvert végétal par petites touches, le blanc et le gris de la pierre servant de toile de fond à un camaïeu de couleurs vives dans les tons de vert, bleu, et mauve. C'est le moment que choisit le soleil pour faire une petite percée entre les nuages qui flânent encore au dessus de Hurlevent, nimbant l'endroit d'une lueur dorée particulièrement chaude et apaisante.

"Est-ce que les gens qui arrivent pour la première fois à la Chapelle de l'Espoir de la Lumière ressentent la même chose ?"

La question surgit dans son esprit alors qu'elle s'arrête devant la grande porte ouvragée qui donne accès au domaine. Elle sait qui pourrait lui apporter une réponse ; Elle esquisse un demi sourire au souvenir de son ancien maitre, et se rend compte alors que, malgré leurs démêlés passés, il a toujours compté pour elle. Au point qu'une partie d'elle s'en veut un peu de ne pas avoir tenté de le retrouver, alors que l'autre se félicite d'avoir choisi la voie qui est désormais la sienne, certaine que le vieux paladin aurait, sinon approuvé, au moins compris et peut-être encouragé certains de ses choix.

Une voix la sort de sa réflexion.

- "Bonjour, madame, vous cherchez quelque chose ?"

Ses yeux se posent sur l'individu. Un homme, un peu moins de la trentaine, plutôt avenant et qui lui sourit de derrière la petite haie vive qui embaume et délimite le territoire du domaine de Bellerive. Probablement le jardinier, à voir la bêche qu'il tient encore de la main gauche, pendant que la droite essuie son front. Honorata hoche alors la tête.

- "Si je suis bien devant le domaine de Bellerive, alors je dirais que j'ai trouvé ce que je cherchais."

L'homme écarquille un peu les yeux, puis son sourire s'élargit.

- "Oh ! Vous devez être Dame Honorata Pomeroy, alors. Enchanté ! Je suis Oliver Dawkins, Madame Solwen m'a prévenu que vous deviez arriver ce matin sur les coups de dix heures. Vous êtes un peu en avance, je crois."

- "Une habitude héritée de l'armée", répond la jeune femme, "ravie de faire votre connaissance, monsieur Dawkins, et j'espère que mon arrivée un peu impromptue ne pose pas de problème ?"

- "Absolument aucun", dit le jardinier qui s'avance pour ouvrir la porte cochère située dans l'immense portail ouvragé "Venez, entrez, et laissez moi vous débarrasser de cela" ajoute-t-il en désignant le panier de fruits.

Et c'est ainsi qu'accompagnée d'Oliver Dawkins, Honorata fait ses premiers pas au sein du Domaine, découvrant les jardins et les dépendances avant de s'acheminer vers son rendez-vous avec la maitresse des lieux.